Conseil à mon ami créateur d’entreprise

La naissance de mon projet

Ma formation d’économiste et mon passé de cadre de banque ne me donnent pas que des avantages. J’ai réfléchi plusieurs fois à une question de fond : quel type d’entreprise pourrais-je bien créer ? Distribuer, fabriquer, oui, mais quoi ? J’ai l’impression que les possibilités sont infinies.
Je me connais un peu. Sans doute assez bon gestionnaire et organisateur. Vendeur aussi, mais de ces vendeurs qui n’arrachent pas les décisions et construisent plutôt une relation de confiance sur une longue période. Et puis pas du tout technicien : je ne connais rien à la fabrication des produits à plus forte raison lorsqu’ils incorporent une technologie sophistiquée.
Ma seule chance de succès est donc de m’orienter vers des produits simples à faible valeur technologique.
C’est ainsi que, limitant ma recherche aux produits de grande consommation, j’ai péché par excès de confiance et commis ma première erreur qui, je le saurai plus tard, sera suivie de bien d’autres.

Ma première erreur…

J’ai pensé faire œuvre utile en recherchant parmi les produits de grande consommation ceux qui étaient le plus importés. Contribuant à limiter les importations de mon pays, je pensais rendre ainsi un double service à mon pays.
Fermé dans cette logique, je passais beaucoup de temps à collecter les statistiques douanières auprès du ministère compétent. Après des semaines d’efforts, je dus constater que je me trouvais dans une impasse.
Ces statistiques, fort utiles au niveau d’un Etat, ne pouvaient servir à ma démarche. Construites par groupes de produits, elles me procuraient des informations générales m’interdisant toute conclusion sur un produit déterminé.
J’avais fait ma première erreur : je restais trop loin du terrain, trop préoccupé par l’analyse et pas assez pas le réel.

L’apprentissage de la réalité…

Déçu de cette première expérience, je choisis, après réflexion, de m’adresser à ceux qui vendent des produits de grande consommation. Pour éviter de me disperser en entretiens trop nombreux, je décidai de rendre visite aux responsables des supermarchés qui existent.
Tous m’ont accueilli chaleureusement et ont accepté de me consacrer du temps pour m’aider à voir clair. Grâce à leur aide, j’ai pu détecter deux catégories de produits exclusivement importés :

  • les cirages et encaustiques
  • les produits de nettoyage.

Les produits de nettoyage représentent des ventes beaucoup plus importantes que les cirages et encaustiques. A mes yeux, ce domaine est cependant plus difficile à aborder puisqu’il est dominé par de puissantes multinationales. De plus, les cirages et cires ne nécessitent pas de fortes connaissances technologiques.
J’ai donc choisi de m’intéresser de plus près aux cirages et encaustiques et ce, d’autant plus que mes interlocuteurs m’avaient signalé que, au-delà du marché privé, existait un marché public non négligeable (armée et collectivités). Je formais l’espoir que des acheteurs publics verraient d’un bon œil une production locale se substituer à des importations.
Mais voilà, je m’enthousiasme à nouveau trop vite…Je suis décidément incorrigible.
J’ai pourtant appris dans toute ma carrière les difficultés dans lesquelles se débattent les industriels et artisans de mon pays. Si je souhaitais utiliser le langage d’un technocrate européen je dirais que notre environnement a un caractère définitivement aléatoire.
Peut être faut-il surtout comprendre que le modèle d’entreprise européen convient à l’histoire et à la culture européenne, qu’il est donc difficile, voire dangereux, de le transposer dans un continent dont l’histoire, la culture et les mœurs n’ont que des rapports lointains avec l’Europe d’hier et d’aujourd’hui.
Au plus profond de moi-même, je ressens le devoir de contribuer par mon expérience à la création d’un style africain d’entreprise empruntant ses fondements à notre culture et y puisant sont efficacité.
Je sais que je vais me heurter à de nombreux obstacles : dès l’abord, je peux observer mille et une particularités qui me paraissent délicates à faire coexister avec la notion même d’entreprise.

Notre culture africaine est fortement attachée au polychronisme ou art de faire plusieurs choses à la fois.
Cette pratique est fort contradictoire avec l’art européen de la productivité qui nous enseigne que la concentration instantanée d’un individu sur une tâche particulière donne un meilleur résultat que tout autre comportement. Elle n’est pas adaptée à notre passé et l’adopter nous conduira (et nous a déjà d’ailleurs bien souvent conduits) à l’échec.
Faudra t-il aussi que nous réduisions l’idée et l’essence même de la famille comme l’on fait les Européens pour augmenter le nombre de travailleurs par rapport aux inactifs au sens économique du mot ? Faut-il vraiment que l’économie soit si dominante qu’elle puisse plier à sa loi l’architecture millénaire de systèmes sociaux éprouvés ?…
Je m’emporte…Je m’emporte et je m’enferme dans des contradictions dont je vais avoir quelques difficultés à sortir. D’un côté, mon pays que j’aime et qui a bien besoin d’une activité économique régulière ; de l’autre, les pratiques de l’entreprise européenne et son inadéquation avec notre histoire, notre culture, notre système social.
Toutes ces questions me dépassent mais je devrai pourtant en tenir compte. Mon entreprise est vouée à l’échec si son décalage historique, culturel et social par rapport à son environnement immédiat est élevé.
A moi d’en tenir compte…Je pressens que mon rôle essentiel sera de trouver l’expression d’une harmonie entre des contraintes d’ordre technique (délais, qualité, rigueur) et de profondes racines qui peuvent parfois dicter des comportements d’une autre nature…

Message à mon ami, futur créateur…

Connais-toi toi-même et choisis ton champ d’activité à partir de tes compétences et de tes goûts. Les statistiques ne sont jamais que des chiffres. Elles ne sont qu’une représentation commode mais incomplète d’une réalité complexe. Appuie-toi sur les conseils d’hommes de terrain connaissant bien les pratiques d’un métier. Ils te mettront face à la réalité.
Méfie-toi de la mer dans laquelle tu vas nager. Si les poissons y sont trop gros, ils ne seront pas accueillants et tu n’y survivras pas.
Souviens-toi que la plupart des mécanismes connus du fonctionnement des entreprises ont été conçus pour d’autres cultures.
Fais l’effort de contribuer à créer des mécanismes spécifiques de fonctionnement de l’entreprise africaine appuyés sur ta culture et ton histoire. Il en va de la survie de ton entreprise.
L’harmonie sera ta sauvegarde. Si ton entreprise n’est pas profondément enracinée dans son environnement, ne se confond pas avec lui, alors ses chances de succès seront nulles. Lorsque tu chercheras à étudier ton marché, ne te prends pas pour un prophète. Tu ne sais pas plus que moi
deviner l’avenir.
Essaie plutôt de prendre conscience des risques que tu cours,lorsque tu connaîtras ces risques, tu seras capable d’apporter des réponses pour les limiter.
Je te conseille de procéder comme suit :

  • pose-toi les bonnes questions. Que veux-tu savoir ?
  • informe-toi auprès de personnes qui sont des acteurs du marché auquel tu t’intéresses.
  • Interroge-toi sur la valeur des informations que tu détiens. Souvent, une information n’a de valeur que sous certaines conditions. Si les conditions changent, l’information n’a plus de sens.
  • apprend que l’incertitude sera ton lot quotidien. N’essaie pas de la forcer ; cela le conduirait à l’erreur. Cherche à connaître les conséquences de ces incertitudes.
  • mesure le degré d’incertitude dans lequel tu te trouves. S’il est élevé, comme bien souvent et comme dans mon cas, construis ton entreprise en évitant les rigidités. Limite autant que tu peux
    les investissements et les coûts.

Ne t’effraie pas de la masse de problèmes qui s’agitent dans ta tête ! Ecris-les pour les clarifier ! Classes ces problèmes les uns par rapport aux autres : bien souvent un ordre chronologique existe entre eux.
Dès lors que tu auras trouvé cet ordre, tu pourras planifier simplement.
A quoi sert de produire si tu ne peux pas vendre ! Débute avec de faibles moyens de production et agrandis les lorsque tu as de quoi les occuper !
Prends garde au temps : il travaille contre toi ! Ne le subis pas mais essaie de l’utiliser ! S’il faut plus longtemps que tu ne voudrais pour faire quelque chose, ne t’obstine pas, ne t’acharne pas et gère en tenant compte du temps.
Sois conscient que tu vis en Afrique et que ta culture n’est ni industrielle ni planificatrice ceci te gênera dans l’éxécution de ton projet et peut même te marginaliser…
Souviens-toi qu’il sera toujours plus facile de prévoir tes dépenses que tes recettes ; alors prévois tes dépenses au plus bas. C’est la clef de ton succès !
Ne crois pas que tu peux résoudre toutes les difficultés de financement par l’emprunt. Il est plutôt réservé à financer constructions et matériel et coûte cher. Il est impératif que tu apportes des ressources personnelles
ou celles d’associés pour ne pas mettre en péril ton entreprise dès sa création.
Le domaine du financement est complexe et, si tu n’en es pas un spécialiste, je te conseille de te faire aider.
Comme d’ailleurs pour tout ton projet, contactes des spécialistes capables de t’aider.

Célestin

Créateur d’entreprise

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