Focus et réflexion sur la nouvelle loi d’orientation relative aux PME

Publiée au Journal Officiel du 20 janvier 2020, la loi d’orientation 2020 – 02 du 07 Janvier 2020 relative aux petites et moyennes entreprises (PME) constitue la dernière réforme majeure en matière de PME.

Politique volontariste de l’État

Ce nouveau cadre est l’expression d’une politique volontariste de l’État, notamment de la plus haute autorité du pays. En effet, lors du conseil des ministres du 24 avril 2014, le Chef de l’État a invité le gouvernement à préparer un projet de loi de développement des Pme et de modernisation de l’économie, qui selon ses propres termes, «sera la traduction de la politique de l’État envers les PME, qui doivent être positionnées en véritables moteurs de croissance économique et de création d’emplois durables».

Au conseil des ministres du 25 mai 2016, le Président de la République a exhorté le Gouvernement à œuvrer sans relâche, pour le développement des PME–PMI, à travers un encadrement efficace par des structures publiques rationnalisées et un système de financement adapté et performant. il l’a ensuite invité à veiller à la finalisation du processus d’adoption du projet de loi de développement des Pme et de modernisation de l’économie.

Au conseil des ministres du 08 septembre 2016, le Chef de l’État a encore manifesté l’intérêt particulier qu’il accorde au développement des PME/PMI et a demandé au Premier Ministre de prendre toutes les dispositions nécessaires à la promotion des PME/PMI, et à l’adoption, dans les meilleurs délais, du projet de loi de développement des PME et de modernisation de l’économie.

Au conseil des ministres du 28 décembre 2016, le Chef de l’État revient à la charge en rappelant son ambition de bâtir un Sénégal émergent autour de PME/PMI viables, innovantes et performantes et a encore demandé au Premier Ministre de veiller à l’adoption de la loi de développement des PME et de modernisation de l’économie et de renforcer le dispositif de facilitation de l’accès des PME/PMI à la commande publique, aux partenariats et aux financements publics et privés.

Lors du conseil des ministres du 09 octobre 2019, le Chef de l’État a une fois de plus souligné l’impératif de consolider le potentiel et la place essentielle des Petites et Moyennes entreprises (PME) et des Petites et moyennes industries (PMI), et a exhorté le Gouvernement à veiller à la mutualisation des dispositifs d’encadrement et de soutien existants pour promouvoir un financement innovant des PME/PMI.

Au final, à la place de la loi de développement des Pme et de modernisation de l’économie, c’est la loi d’orientation sus – mentionnée qui a été adoptée par l’assemblée nationale en décembre 2019. Elle fixe le cadre général de la politique de promotion des PME au Sénégal et a comme objectif global de promouvoir la création, le développement et la croissance des PME.

Les principales innovations apportées par cette loi portent sur la redéfinition de la PME, le statut de la PME, la formalisation de l’agrément au statut de la PME, la prise en compte du statut de l’entreprenant, la reconnaissance de nouveaux modes de financement des PME, la mise en place du conseil national des PME, la mise en place d’un fonds de promotion des PME. Par ailleurs la loi donne de nouvelles compétences aux collectivités territoriales.

La redéfinition de la PME

La définition de la PME a évolué, par rapport à la loi d’orientation n° 29- 2008 relative à la promotion et au développement des PME du 28 juillet 2008 qui a été abrogée. Aujourd’hui, la PME est définie comme toute personne physique ou morale autonome, commerçante ou productrice de biens et/ou services marchands, et dont le chiffre d’affaires hors taxes annuel n’excède pas deux milliards (2.000.000.000) de FCFA ; toute PME dont plus de 25% du capital est directement détenue par une entreprise privée ou publique perd cette qualité au sens de la loi, à l’exception des sociétés de capital-risque et des investisseurs institutionnels.

Le plafond de chiffre d’affaires, pour être PME, était de cinq milliards (5 000 000 000) de FCFA dans la loi abrogée, il est rabaissé à deux milliards (2 000 000 000) dans la nouvelle loi, pour  harmoniser avec les dispositions des chartes communautaires des PME de l’UEMOA et de la CEDEAO. Par ailleurs le critère lié au nombre d’emploi est supprimé.

La PME comprend aujourd’hui l’Entreprenant, la Très Petite Entreprise (TPE), la Petite Entreprise (PE) et la Moyenne Entreprise (ME).

L’Entreprenant est un entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration faite au greffe du tribunal, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole. Il faut signaler que ce statut est réservé aux entrepreneurs informels qui ne sont pas immatriculés au registre du commerce. La loi leur octroie des avantages, notamment  la possibilité de recevoir une assistance technique qui pourra être matérialisée par le soutien à l’alphabétisation fonctionnelle, à la formation et à l’innovation, à l’appui/conseil, à la mise en réseau, à l’assistance à la mutualisation de services marchands, à la facilitation des relations avec les services techniques déconcentrés et à l’assistance juridique et judiciaire.

L’entreprenant pourra payer une prime fixe qui couvre ses obligations fiscales et sa couverture maladie, retraite et accidents professionnels.

La Très Petite Entreprise (TPE) est toute personne, hors entreprenant, physique ou morale, exerçant une activité professionnelle, civile, commerciale, artisanale, agricole, industrielle ou de prestataire de services, dont le chiffre d’affaires annuel déclaré hors taxes est inférieur ou égal à cent millions (100.000.000) FCFA.

La Petite Entreprise (PE) est toute personne physique ou morale, exerçant une activité professionnelle, civile, commerciale, artisanale, agricole, industrielle ou de prestataire de services, dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est supérieur à  cent millions (100.000.000) FCFA et inférieur ou égal à  cinq cent millions (500.000.000) FCFA.

La Moyenne Entreprise (ME) est toute personne physique ou morale, exerçant une activité professionnelle, civile, commerciale, artisanale, agricole, industrielle ou de prestataire de services, dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est supérieur à cinq cent millions (500.000.000 ) FCFA et inférieur ou égal à deux milliards (2.000.000.000) FCFA.

PME de Droit communautaire, PME de droit sénégalais et PME nationale

Cette nouvelle loi a le mérite de clarifier les notions de PME de Droit communautaire, de PME de droit sénégalais et de PME nationale. La PME de droit communautaire est toute entreprise individuelle, ou une société, immatriculée dans un des pays membres de la CEDEAO et de l’UEMOA dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est inférieur ou égal à  deux milliards (2.000.000.000) FCFA.  

La PME de droit sénégalais est toute entreprise individuelle ou une société, immatriculée au Sénégal dont le capital est détenu par une ou des personnes physiques ou morales quelle que soit leur nationalité et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est inférieur ou égal à deux milliards (2.000.000.000) FCFA.

La PME nationale, elle, est toute entreprise individuelle ou une société de droit sénégalais dont le capital est détenu à 51%, au moins, par une ou des personnes physiques de nationalité sénégalaise ou par une ou des personnes morales de droit sénégalais et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est inférieur ou égal à 2.000.000.000 FCFA.

Le statut de la PME

L’agrément au statut de PME peut être conféré à toute entreprise qui remplit les conditions et qui en fait la demande. Cet agrément est nécessaire pour bénéficier des avantages de la loi. Il sera octroyé par le ministère en charge des PME (art.4) selon des modalités qui seront fixées par voie réglementaire.

La reconnaissance de nouveaux modes de financement des PME

La loi a prévu (art.23) la création d’un Fonds pour la Promotion des PME (FP/PME) qui a pour objet de prendre en charge tout ou partie des coûts des avantages accordés aux PME dans le cadre de la loi. Un décret d’application définira les modalités d’organisation et de fonctionnement de ce fonds. En principe, il devrait être alimenté par une subvention annuelle de l’État, les dons, les contributions des partenaires techniques et financiers (PTF).

Le Prêt d’honneur qui est, selon la loi (art.3), un crédit à taux zéro ou à taux réduit et éventuellement sans garantie est institué. Il est cependant, spécifiquement destiné aux Entreprenants et TPE, prioritairement celles promues par les jeunes et les femmes (art.27). Par ailleurs, l’État favorise le développement du crédit – bail, en vue d’accroitre les capacités d’investissement des PME et la mise en place d’un système d’affacturage pour le financement de leurs besoins de trésorerie. L’affacturage est définie (art.3) comme étant la gestion des créances d’une entreprise effectuée par une entreprise spécialisée.

Le Conseil National des PME

Le Conseil national de la PME (CNPME), instance de concertation, chargée d’assurer le suivi de la mise en œuvre de la loi et de la politique générale en faveur des PME, a reçu une consécration juridique. En effet, la lettre de politique sectorielle des PME (LPS/PME) de 2010 avait mis en exergue l’inexistence d’une structure formelle de coordination des activités menées par le dispositif d’appui et l’axe stratégique 1 «Amélioration de l’efficacité́ du dispositif d’appui aux PME» de cette LPS/PME visait comme objectif spécifique 3 « la mise en place d’un cadre formel et efficient de coordination, de concertation et de suivi – évaluation de la LPS/PME » et comme action 11, la mise en place d’un Conseil National des PME. Il est donc salutaire qu’un décret va prochainement créer ce conseil (art.9).

A notre avis, il devrait regrouper toutes les structures publiques dont les actions agissent sur la PME et aboutir à l’élaboration et à la remise solennelle au Chef de l’État, d’un rapport annuel sur la situation des PME au Sénégal avec des recommandations pertinentes qui feront l’objet de mise en œuvre et d’évaluation permanente.  

Mutualisation des interventions des structures publiques d’appui

Pour rappel, lors du conseil des ministres du 24 juin 2020, le Président de la République a indiqué aux membres du Gouvernement, l’importance de consolider la mutualisation des ressources des structures publiques d’encadrement et de financement des PME/PMI. Il a, au conseil des ministres du 15 juillet 2020, rappelé cette instruction, «de procéder sans délai à l’évaluation et à la mutualisation des services financiers (FONGIP, FONSIS, BNDE, DER) et des services non financiers d’appui aux PME et TPE (ADEPME, APDA, ASPIT, Directions des PME et PMI, Bureau de mise à Niveau, etc.)».

Il faut souligner que mutualisation ne signifie pas à notre avis suppression, comme pourraient le penser certains. La mutualisation, c’est «la synergie entre deux ou plusieurs structures permettant la mise en commun de ressources et de compétences, de moyens humains, matériels ou immatériels dans le cadre d’une démarche plus ou moins formelle et structurante à court, moyen ou long terme, dans le but de faciliter et améliorer la gestion et/ou diminuer les coûts ». La mutualisation vise à rechercher de l’efficience par des économies d’échelle.  L’objectif est de faire autant avec moins de ressources ou de faire plus avec autant de ressources.

La nouvelle loi a donné une réponse aux préoccupations du Chef de l’État. L’article 21 dispose «Pour la décentralisation des activités de promotion des PME, les structures publiques d’appui aux PME, sous la coordination de la structure nationale de promotion des PME, mutualisent leurs interventions par le recrutement d’opérateurs au niveau local».

Toutes les structures d’appui existantes ont leur place sur le marché. Le champ est vaste et les besoins immenses. Seulement, le Sénégal, c’est quatorze régions et les entrepreneurs où ils se trouvent sur le territoire ont des besoins au même titre que ceux de Dakar. Est – ce que chaque structure va avoir un bureau régional ? La loi leur dicte ce qu’elles doivent faire pour mutualiser leurs interventions.

Les nouvelles compétences des collectivités territoriales

Les maires et élus locaux ont souvent tendance à ne regarder que le code des collectivités territoriales avec ses compétences dites transférées, or ce code est une loi au même titre que les autres lois. La nouvelle loi d’orientation relative aux PME, donne aux collectivités territoriales des compétences en matière de promotion et de financement des PME. Ainsi, conformément à leur mission, celles- ci peuvent prendre toutes les dispositions nécessaires pour soutenir les PME locales, notamment en ce qui concerne la mise en place de guichets d’accueil, d’orientation, de conseil et d’accompagnement des PME, la gestion des registres d’inscription mis à leur disposition par la structure nationale en charge de la promotion des PME , l’accès au foncier aménagé, la création de pépinières d’entreprises et d’incubateurs, l’accès au financement, par la création d’instruments d’appui à la création et au développement des PME , la promotion du partenariat public/privé, l’implication du secteur privé local dans la définition et la mise en œuvre des politiques locales de développement (art.8).

Nos collectivités territoriales doivent saisir ces opportunités que leur offre cette loi, non pour créer  elle – même des PME mais pour susciter et appuyer une véritable dynamique de création de richesses et d’emplois au plan local par une offre compétitive d’infrastructures à caractère économique et des services financiers et non financiers efficaces pour accompagner les initiatives privées.

Nos villes sont dépourvues de «zones d’activités» pour les très petites et petites entreprises, en dehors des marchés. Les terres disponibles sont mises à la disposition de promoteurs qui construisent des immeubles à usage d’habitation. Ainsi les jeunes et les femmes entrepreneurs qui exercent notamment dans le domaine de la transformation et la production, ont du mal à trouver des locaux adéquats. Les maisons ne sont pas faites pour accueillir de telles unités de production et pis les loyers sont chers. Les femmes transformatrices sont malgré elles, obligées d’avoir recours à leur cuisine ou la cour de leur maison pour exercer leurs activités, les artisans menuisiers squattent les garages ou magasins des maisons, les mécaniciens ne savent plus où donner de la tête. Avec l’absence de «zones d’activités dédiées», ce sont les rues qui accueillent les petites entreprises avec ce que cela comporte comme nuisances et désagréments, comme c’est le cas dans les grandes villes comme  Dakar. Il reste encore beaucoup à faire, pour résoudre le déficit d’infrastructures pour les petites entreprises, éviter ainsi leurs déguerpissements sans fin et stabiliser leur fonctionnement.

Les collectivités territoriales ont leur part de responsabilité. Pendant longtemps, elles se sont cantonnées à des missions traditionnelles (construction ou réhabilitation de marchés, de gares routières, gestion de l’état civil, œuvres sociales…). Elles doivent changer de cap et s’engager vers la promotion du développement des petites entreprises dans leurs localités. Le cadre juridique existe. Le code des collectivités territoriales dispose que «Les collectivités territoriales ont pour mission la conception, la programmation et la mise en œuvre des actions de développement économique, social et environnemental d’intérêt local».

La nouvelle loi d’orientation, comme exposé ci-dessus, leur a ouvert le boulevard pour la mise en place de services financiers et non financiers, la création de zones d’activités (sites aménagés, terrains réservés à l’installation d’activités artisanales, industrielles, commerciales), de pépinières d’entreprises qui sont des structures d’accueil, d’hébergement, d’accompagnement et d’appui aux porteurs de projet et aux créateurs d’entreprise…afin d’accompagner les initiatives privées etc.

A ce propos, l’exemple de la ville de Dakar est à souligner. Un partenariat entre cette Ville, la Ville de Marseille et l’Association Internationale des Maires Francophones a permis de créer la Couveuse d’Entreprise pour la Promotion de l’Emploi par la Micro – entreprise (CEPEM), qui connaît un succès. Les communes rurales devraient initier des projets incubateurs dans le domaine de l’agriculture, avec l’appui de l’État ou de Programmes comme le PACASEN (Programme d’Appui aux Communes et Agglomérations du Sénégal).

Il s’agira d’initier des Projets qui consistent à aménager des centaines, voire des milliers d’hectares de terres, avec des forages, des magasins de stockage, des matériels lourds de culture…qui seront loués, par parcelles, à tous promoteurs (autochtones ou résidents d’autres localités du pays) et qui permettraient la naissance de véritables PME agricoles et la disponibilité de ressources additionnelles pour les communes concernées, résultant des redevances sur les terres louées et des honoraires des prestations (pour l’utilisation du matériel lourd) à payer par les exploitants. Cela évitera de brader des centaines d’hectares de terre à une seule personne (nationale ou étrangère), créant des conflits avec les populations et permettra ainsi d’amorcer un véritable retour à la terre, puisque les conditions seront réunies pour travailler 12 mois sur 12.

Alassane LO

Expert consultant en création d’entreprise

et en stratégie de promotion et de développement des PME

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